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21 février 2022

Ma fascination envers la pratique de Gaëlle Elma provient de l’exaltation de pouvoir m’identifier aux modèles photographiés.  Certes, je me reconnais physiquement en eux/elles, mais ce sentiment d’appartenance viscéral va au-delà des questions de représentation ou d’apparence. En effet, lorsque je me retrouve devant les photographies d’Elma, je ressens une résonance émotionnelle ancrée dans mes expériences de confort et de bien-être lorsqu’ immergée dans l’eau. Dans l’univers esthétique d’Elma, l’environnement aqueux engendre un espace sécurisé dans lequel le corps et l’esprit sont tous deux libérés des fardeaux quotidiens. Captées en état d’abandon dans des cours d’eau du Québec, les muses de l’artiste sont bercées par les vagues et dérivent vers les possibilités infinies de la corporalité fluide.

La vulnérabilité désarmante qui émane de la série phototraphique Water dévoile une corporalité en marge des questions identitaires stéréotypées, afin d’introduire dans l’imaginaire collectif les diverses potentialités du corps érotique. Celui-ci privilégie l’interdépendance entre l’exploration corporelle et la joie. J’utilise le mot érotique au sens large, tel qu’exploré par la légendaire écrivaine, activiste, et académicienne afro-américaine Audre Lorde dans sa composition The Uses of the Erotic: The Erotic as Power et plus récemment au sein de l’anthologie par la formidable autrice adrienne maree brown, Pleasure Activism; The Politics of Feeling Good.  L’éros est décrit comme une source de pouvoir intérieur, de connectivité humaine et catalyseur de changements sociopolitiques. Le désir englobe plus que la sensualité sexuelle; c’est un contrepoint à la pensée patriarcale moderne et occidentale, fondée sur la séparation du corps et de l’esprit. Le pouvoir de l’érotisme est donc représenté comme une énergie de guérison profonde, une source riche de connaissances incarnées et spirituelles et un outil  d’émancipation consciencieuse.L’héritage de ces analyses féministes et queers suscite des échanges sur la politisation du plaisir en tant que mesure de libération individuelle et collective.       

Dans les photos d’Elma, le corps Noir n’est ni fragmenté, brimé ou différent, mais en symbiose avec la nature et intègre les vastes écosystèmes qui s’y retrouvent.. Le travail de l’artiste expose une intimité sensorielle rarement examinée. La tendresse des enlacements entre les  sujets photographiés gagne à être étudiée sous différents  angles, suscitant des questions sur la relation complexe entre la diaspora noire, l’eau, le plaisir et les rituels de bien-être ancestraux. 

La série Water a nourri ma curiosité à propos des histoires méconnues des relations intimes qu’entretiennent les Afro-Canadien.ne.s avec les milieux aquatiques qui les entourent. J’ai envie de me plonger dans des récits où l’agentivité noire au Québec et ailleurs dans le pays est palpable et multidimensionnelle, et transcende les raz de marée de violence et d’effacement actuel et historique.C’est que les étendues d’eau laissent coexister des récits d’assujettissement, de libération, d’aventures et de guérison, mais avant tout l’eau pourvoit des expériences sensorielles et émotionnelles exhaustives.

 

Petite parenthèse

J’aime les petits moments de synchronicité et je voulais partager un adon qui m’a ravie.

Mon dernier billet publié en octobre décrivait un rêve qui m’a servi de tremplin pour présenter les poèmes de Christine Sioui – Wawanoloath. Dans ce songe, je rencontrais les enfants de Oshun, la déesse yoruba des eaux douces et qui, dans le cadre de leur occupation, portaient des tuniques amples dorées ou corail.

Deux mois plus tard, Gaëlle Elma et moi étions en train de faire la sélection finale de ses photos pour l’exposition, puis l’un des portraits que l’on considérait affiche une jeune personne d’apparence féminine se tenant debout sur une roche sur le bord d’un lac. Iel portait une robe mouillée semi-transparente qui lui collait à la peau et ses cheveux bouclés et mouillés semblaient se jucher lourdement sur le haut de son dos. Iel se tenait de manière droite, tourné.e vers la caméra. Malgré son visage un peu flou, on pouvait y lire une expression de contentement et ressentir la chaleur du rayon du soleil sur sa peau.

La muse semble irréelle, telle une apparition.

Cette image m’a rappelé mon rêve et en partageant cette expérience avec l’artiste, celle-ci s’est exclamée que le vêtement choisi pour la photographie était en fait de couleur corail tout comme dans mon songe. Vu que le cliché présenté était en noir et blanc, ce détail m’avait échappé et j’ai été frappée par ce que je percevais comme une sorte de clin d’œil cosmique.