Conversation entre Pascale Déry et Camila Vásquez –
Juin, 2023
Pascale: [00:00:00] Et voilà.
Camila: [00:00:04] Voilà! Merci avant tout de t’être prêtée au jeu. C’est vraiment dans l’idée d’ouvrir un espace pour avoir ta perspective, avoir ton point de vue de qu’est-ce que c’est pour toi cette collaboration avec Bill Burns, qu’est-ce que ça t’amène, comment tu vois ton rôle, le processus que vous avez entamé ensemble. Ouais, j’ai juste envie de t’entendre. Puis peut être qu’il y a des questions qui vont monter au fur et à mesure.
Pascale: [00:00:40]. Ben c’est le fun. Parce que dans le fond, dans ma pratique en temps normal comme costumière, je travaille surtout avec des équipes en théâtre, des productions de danse, des vidéos. Donc souvent mon travail de création se fait beaucoup à partir d’un scénario ou du point de vue d’un metteur en scène ou d’une chorégraphe. À ce moment-là, c’est sûr qu’il y a une démarche où on travaille plusieurs collaborateurs sur le même projet, mais il y a quand même un chef, entre guillemets, quelqu’un qui voit la vision et qui amène les gens dans cette vision-là. C’est un peu la même chose parce que Bill avait son projet à la base. Sa démarche était bien préparée, bien amorcée et la collaboration qu’il me demandait au départ, ça allait être vraiment un apport technique. Un soutien pour qu’il puisse mettre en œuvre les idées qu’il y avait dans la tête, mais qu’il n’était pas bien outillé pour les réaliser. Puis dans le fond, avec sa première visite, je voyais qu’il y avait de l’ouverture au niveau de mon apport artistique. Puis, quand il est venu passer une semaine, c’est devenu concret que c’est un rôle que j’aime beaucoup… c’est d’essayer de plonger dans l’univers de quelqu’un, d’arriver à être dans la tête de quelqu’un.
Pascale: [00:02:47] Tout à l’heure, je parlais de la collaboration avec des metteurs en scène, avec des chorégraphes. Mais, je suis aussi assistante costumière. Donc, quand la conceptrice de costumes fait une démarche, ben moi, mon rôle de soutien, c’est de venir comprendre ce que la personne souhaite réaliser puis lui donner tout mon bagage. Autant les connaissances au niveau de la couture, au niveau du cuir, au niveau du mouvement. La personne qui va porter le costume doit pouvoir bouger. Ça doit pouvoir propulser l’interprétation soit du comédien, du danseur ou du performeur. Cette expérience que j’ai de scène fait en sorte qu’avec Bill, on pouvait plus rapidement traduire ses demandes dans quelque chose de concret, mais de qui allait durer, être confortable, mais aussi être solide. Ce n’est pas quelque chose qui brise en dedans de deux chorégraphies ou quelque chose comme ça. Donc, il y a bien un support technique qui est vraiment là, mais aussi je me suis rendue compte qu’il laissait beaucoup de liberté dans la création et que, dans le fond, il souhaitait que les costumes soient aussi beaucoup le fruit de mon imaginaire et de mon sens artistique, de ma présence artistique.
Pascale: [00:05:01] Puis la semaine où il a été là, ça a été super le fun, super intense. Dans le fond, lui, il m’avait parlé de certaines choses, il m’avait fait des sketchs que vous avez peut-être vu sur le blog, mais, ça reste intangible. Quand quelqu’un te fait un sketch, ça peut prendre 1000 couleurs, ça peut prendre de 1000 textures, c’est très très large. Tandis que quand il est arrivé avec des prototypes et des objets qu’il avait déjà commencé à construire à partir d’objets recyclés, ben c’est devenu concret comme proposition. Il m’a enligné avec différentes matières qu’il souhaitait voir se répéter. Donc le cuir, les straps de nylon et les courroies nylon. Beaucoup de quincaillerie, d’accessoires, de couture, des clips pour les salopettes, les trucs pour ajuster les snap, boutons pressions, toute une quincaillerie qui est liée à l’ajustement des courroies et à des façons de s’accrocher, de s’attacher. Comme ce sont des costumes qui vont être enfilés devant la caméra, je pense que l’objet principal de Bill, justement, c’est de voir un humain, une personne entrer dans la peau d’une abeille ou entrer dans la peau d’un âne ou d’une chèvre. Dans un sens, pour la vidéo qu’il veut faire, je pense que la façon d’enfiler, de d’associer, pas d’associer, mais de combiner certains éléments de costume, d’attacher ensemble, je cherche le mot, pas fusionner…
Camila: [00:06:56] Assembler?
Pascale: [00:06:58] Assembler différents morceaux de costume. Ça va être vu et le son de la fermeture éclair va être important, le son des clips. Tout ça devient comme un élément en soi. On a travaillé beaucoup avec le choix de toute cette quincaillerie-là. Puis il est vraiment arrivé avec des éléments concrets. Mais après ça, il fallait les rendre portables. Donc, si le museau de la chèvre a été inspiré d’un tétra pack de lait d’amande ou quelque chose comme ça, de lait de soja, ben, il m’a donné cette boîte-là et il a dit : « Ben, moi, c’est le museau que je veux. J’aimerais qu’il y ait un lien avec la peau de la personne qui va le porter. » Alors, est ce qu’on le fait en cuir? Ma mission, c’était d’essayer d’arriver à aller chercher la ligne de la chèvre à travers un objet recyclé. Un objet industriel qui en soi n’a pas de résonance avec une chèvre comme telle. Mais j’ai essayé de lui donner la twist pour qu’on réussisse à aller chercher une connotation où on va réussir à reconnaître la chèvre. Bill est allé chercher aussi l’utilisation du lin, la fibre de lin. Donc on a travaillé la barbiche avec le lin. On a utilisé la laine qu’il est allé chercher… je sais pas laquelle.
Camila: [00:09:08] C’est de la laine qu’il avait. Je pense.
Pascale: [00:09:11] Bon, en tout cas, il m’a dit : « C’est important que ça fasse partie de la démarche parce que c’est de l’échange, tu sais. C’est quelqu’un qui me l’a échangée et pour moi, il faut que ça apparaisse là. »
Camila: [00:09:22] C’est ça. Ça faisait partie du troc.
Pascale: [00:09:24] Exact. Quand il est arrivé avec une structure d’abeille totalement plastique et transformée, ben moi j’ai proposé pour les ailes quelque chose de plus naturel, de plus léger. Mais qu’on a quand même associé avec du plastique pour donner de la rigidité, puis des broches récupérées de lanternes chinoises. Ce sont des morceaux que j’avais dans l’atelier déjà. Donc y’a presque aucun achat qui a été fait spécifiquement pour la confection.
Pascale: [00:11:16] Je te dirais que la partie harnais, la deuxième partie, est plus complexe parce qu’on se rend compte qu’un harnais de chèvre sur un humain, ben c’est pas tout à fait le même confort. C’est pas adapté pour un humain, donc on travaille là-dessus. C’est toute une histoire de proportions. Quelle est la différence entre le harnais de construction, le harnais humain, versus le harnais de chèvre qui est beaucoup plus délicat, mais sera porté par le même corps? La proportion n’est pas la même. Encore plus avec l’âne. Tu sais, on avait acheté un harnais de poulain pour que ça soit plus petit, plus facile à ajuster sur un visage humain. Mais finalement, on se rend compte qu’il va peut-être falloir aller vers le harnais de chien pour que ça soit plus souple. Mais encore là, tu sais, Bill arrive lundi, puis il y a sûrement une réflexion à faire par rapport à ça. Parce que moi je pense encore que c’est possible d’utiliser celui du poulain et de le travailler pour l’assouplir puis le rendre plus confortable. Au niveau de la barrière du langage, parce que je suis bilingue, mais pas parfaitement bilingue, j’ai trouvé ça très difficile de plonger complètement dans l’aspect conception. Toute la réflexion, sa démarche. Est-ce que c’est parce qu’on n’avait pas beaucoup de temps? On a moins pris de temps pour plonger vraiment dans tout son processus créatif. Ou bien c’est justement la barrière linguistique qui fait que j’ai pas réussi à complètement percer toutes les clés de sa démarche? Pour les harnais, je ne comprends pas encore exactement comment les visiteurs vont réussir à avoir un genre d’immersion dans l’espace animal. J’ai pas encore tout compris de sa démarche.
Camila: [00:12:53] J’ai l’impression qu’il y a quelque chose qu’il découvre avec toi en le faisant. Parce que c’est la première fois qu’il travaille le costume. Et aussi, cette idée d’harnais est venue en cours de route. Alors je pense que c’est vraiment l’expérience et la matière qui vont aussi nourrir la réflexion.
Pascale: [00:13:20] Ça se peut. Et tu sais, il y a quelque chose de très intuitif. J’adore ça parce que quand tu travailles avec un chorégraphe ou un metteur en scène? Il y a des exigences. Quelquefois, il faut. Il faut que ça donne ça sur scène. Oui, il faut que le comédien puisse faire ça avec. Mais pour l’instant, je sens qu’il y a quelque chose de très intuitif de la part de Bill. Et puis il me fait confiance là-dedans. Puis moi aussi. Tu sais, à un moment donné, on est allés chez Estrie Aide faire du repérage. On cherchait du cuir et je suis tombée sur un gant de baseball dont la couleur du cuir m’inspirait la chèvre. Il y avait quelque chose de doux, de souple dans la texture du gant de baseball. Puis y avait un détail au niveau de la couture que je trouvais chouette. Lui, il était un peu comme « Bon, prends-le si ça t’inspire. » Tout le long, on mettait ça un peu de côté en se disant que c’était pas nécessairement adéquat. Puis, à un moment donné, j’ai fait « Ben moi, c’est ça que je vois pour amener la rondeur du crâne. » Tu sais, la chèvre a un petit museau, mais quand même un bon crâne pour venir accrocher les oreilles. Je suis retourné dans ce gant de baseball-là, chercher le détail que j’aimais, puis je l’ai transformé, puis ça a fait quelque chose de loufoque là, quelque chose de pas du tout réaliste, évidemment. Mais il m’a laissé aller là-dedans.
Pascale: [00:15:10] Je pense que quand il voit mon plaisir à harmoniser des textures, des couleurs, ben lui il est content. Puis, moi je suis contente. Donc c’est vraiment un travail très très agréable cette confiance-là, mutuelle. Un autre truc, pour le museau de l’âne, il utilisait un sac de café, de grains de café parce qu’il aimait la forme, puis l’évocation des narines et de la bouche, tout ça. Depuis le début, il y a quelque chose qui accroche pour moi. Puis là, à un moment donné, je lui dis « Moi je pense que c’est parce que le museau est trop foncé par rapport au reste. » Le sac était noir, puis, pour moi, il y a de la lumière en avant. L’évocation du museau d’un âne, il y a les narines qui sont pâles. Je pense qu’on ne s’en sort pas à travers toutes les races d’ânes. C’est quand même quelque chose qui est différent qu’un cheval. J’ai dit « On trouve un autre sac? » « Non, mais ça c’est les sacs que j’utilise à tous les jours, c’est important pour moi. Puis j’aime ce sac-là. » J’ai dit « Est ce qu’on peut aller chercher une petite patine dessus juste pour voir? » Tu sais, on va avoir nos deux options quand il va arriver lundi. Mon museau n’est pas encore fixé au reste, mais il a eu cette ouverture-là, d’essayer quelque chose et on va voir ce que ça donne. C’est le même sac mais qui va avoir été un peu patiné avec de la peinture en spray. Juste un petit peu sur le devant du sac.
Pascale: [00:17:17] Alors on va encore reconnaître le logo parce que je pense que le nom du café, la marque de commerce est importante et il y a un lien. Il y a un clin d’œil. Puis il faut qu’on reconnaisse certaines choses. Tu sais, il avait laissé les étiquettes… On va essayer. Si ça fonctionne pas, ça fonctionne pas, c’est pas grave.
Camila: [00:17:45] Oui.
Pascale: [00:17:45] Il y a des choses où moi aussi j’abandonne, je me laisse à sa création et il faut qu’il y ait sa satisfaction dans tout ça, dans ce qu’il apporte comme piste.
Camila: [00:18:01] On dirait qu’il y a beaucoup de jeu dans le processus.
Pascale: [00:18:11] Oui, tu sais, les premières fois qu’il est arrivé avec sa couverte et qu’il disait « Ben, je vois que la couverte, c’est un âne. Je reconnais la ligne gris foncé dans le dos. » Et on a parlé de la forme de queue qui pouvait être prélevée comme en négatif, donc comme un trou dans la couverte. Mais pendant que je le faisais, j’hésitais à la couper. Je me suis dit « bon, je la laisse là, puis au pire on la croque quand il va arriver. » Puis justement, il y a comme une espèce de jeu en le portant. Moi, je pense que même la personne qui va performer va pouvoir se l’approprier un peu. Qu’est-ce qu’elle a envie de faire avec ça? Je suis allée chercher certaines lignes qui pour moi étaient importantes au niveau de l’évocation, sans donner trop de détails, mais juste des lignes. La crête sans qu’il y ait une crinière comme telle, mais juste une ligne qui définit la suite du crâne. Et que ça ne soit pas juste une couverte. Qu’elle se dépose et qu’elle centre quand même la colonne vertébrale.
Pascale: [00:19:48] C’est un processus plus laborieux à distance. Oui, c’est un enjeu. C’est la première fois que je le fais. Ça va super bien parce que quand on se rencontre, c’est hyper dynamique. Puis on prend une heure, on fait le tour et c’est bien, mais clairement, la semaine où il a été là, c’était très effervescent comme création. Lui, il me lançait quelque chose. Moi, je répondais tout de suite, physiquement, techniquement, par une réalisation qui l’amenait sur une autre piste. Tout ça. Donc clairement, travailler dans le même atelier, c’est plus vivant, entre guillemets. En même temps, à distance, ça nous laisse un certain espace pour se déposer chacun de notre bord avec nos idées et ça progresse d’une autre façon, je suis certaine, que si on était ensemble tout le temps. Et puis j’ai hâte qu’il revienne la semaine prochaine parce que là, on va aussi avoir l’interaction avec la personne qui va performer. Donc déjà d’avoir un costume c’est une chose, mais d’avoir un costume habité, c’est autre chose. Tu sais, la personne aurait pu arriver plus tôt dans le processus pour qu’on lui fasse des essayages et ça aurait pu propulser peut-être même la création, je pense. Mais là, dans le contexte actuel, c’était ce qu’on pouvait faire. Mais j’ai bien hâte de voir le résultat. Est-ce que tu sais si c’est lui qui fait les vidéos?
Camila: [00:21:24] Non, il y a quelqu’un qui va filmer, un caméraman et c’est cette même personne qui va faire le montage aussi. C’est un contrat de vidéaste. Il va y avoir Camille, la performeuse, Drew, le vidéaste et Bill. Est-ce que tu vas être présente?
Pascale: [00:21:52] Oui, j’aimerais ça.
Camila: [00:21:54] Je ne serai pas là ce jour-là. Ça va être Noémie qui va vous accueillir. Ça se passe à Molson, au deuxième étage. Il y a une partie qui va se faire dans le studio de photo et une autre partie, celle des harnais, qui va être dans le corridor parce que on ne peut percer les murs du studio.
Pascale: [00:22:16] Ok.
Camila: [00:22:17] On va pouvoir installer les crochets dans le corridor de Molson et il y a une super belle lumière naturelle, alors ça va donner un beau résultat. Ouais.
Pascale: [00:22:28] C’est intriguant tout ce que ça va donner comme résultat. Parce que j’ai pas encore globalement une idée de toute sa démarche. Moi, je me suis concentré sur une partie. Il me donnait de l’information sur les costumes et après ça, ben, on pourra savourer tout ça en septembre.
Camila: [00:22:52] Oui, vraiment. Mais je pense que c’est un peu comme ça pour tout le monde. Je dirais même pour lui, sûrement.
Pascale: [00:22:58] Oui, c’est ça.