Camila Vásquez –
May, 2024
Marcher lentement, être en observation, avoir du temps, être disponible, ne rien attendre de l’autre, offrir de la présence, ne pas avoir d’autorité (ni la désirer), ni d’agenda (chargé ou pas), ni d’idées de ce qui serait le mieux. Être en dialogue, aider à descendre la tension et valider la personne. Voilà comment les travailleuses de rue de la Coalition sherbrookoise pour le travail de rue Stéphanie Roy et Alisson Lapointe ont présenté leur métier à l’équipe du Tremplin et aux artistes Lysanne Picard et Anabelle Brochu.
« Des citoyennes pas comme les autres » qui sont là, dans la rue et qui attendent de se faire remarquer pour laisser le monde venir vers elles. Ce travail de patience, en évitant de se mettre de la pression (de vouloir être productives ou efficaces), permet que petit à petit, étape par étape, un lien se crée. Un premier signe de tête ou un regard furtif est une victoire (si ce terme peut être pertinent dans un paradigme où la simple notion de succès n’est pas recherchée). Et une fois qu’une relation s’établit et qu’un accompagnement est possible, ne pas se rendre indispensable, en faisant attention d’éprouver de l’empathie sans tomber dans la sympathie. C’est la posture qu’elles travaillent à cultiver jour après jour, tout en côtoyant la discrimination, la souffrance et l’impuissance.
À travers cette conversation, l’équipe du Tremplin 16-30 accueillait les artistes Anabelle Brochu et Lysanne Picard dans leur milieu. Milène Richer, chargée de projet en art social au Tremplin et responsable de la résidence, et les travailleuses de rue nous renseignent sur le contexte du Centro: les trajets quotidiens des personnes en situation d’itinérance, ou à risque de le devenir, qui circulent habituellement entre la Chaudronnée de l’Estrie, le Partage St-François, les parcs de la ville et l’autobus Macadam de la Coalition sherbrookoise pour le travail de rue; les policiers communautaires, les campements tolérés par la Ville, les tickets de flânage, les effets de la gentrification de la rue Wellington Sud, autant sur l’environnement immédiat, qu’au niveau de la crise du logement. Échanger sur cette réalité urbaine qui gravite autour du Tremplin, soulève des questions et éveille l’esprit de toutes autour de la table.
La première ruche d’art de la résidence a lieu peu de temps après. Les artistes, inspirées par cette approche d’intervention (à contre-courant et nécessaire) et soulagées d’avoir elles aussi le luxe du temps, commencent doucement à s’infiltrer dans la communauté éphémère qui participe hebdomadairement aux ruches d’art du Tremplin. Portées par la joie et l’effervescence de cet espace de création collectif, elles initient des conversations, débutent des projets, observent ceux des autres.
Une semaine après, nous nous retrouvons de nouveau assises sur les canapés du salon du Tremplin. Certains visages commencent à devenir familier. Des résidents et résidentes croisés aux ruches d’art ou au souper communautaire (rencontre mensuelle de la communauté du Tremplin à laquelle nous avions généreusement été invitées) nous approchent. Une résidente qui y habite depuis quelques années, vient s’installer avec nous et reste pour une bonne partie de notre réunion. François Danis, intervenant en soutien communautaire, et Milène profitent de sa présence pour lui donner une voix. C’est elle qui décrit l’organisme, qui dresse le portrait des personnes qui y habitent, qui parle des défis rencontrés (par elle et ses pairs) et qui souligne l’apport du Tremplin à la qualité de vie de chacun et chacune. Sa transparence est bouleversante. Et la complicité avec François et Milène est palpable. Ce niveau d’horizontalité dans les échanges me touche et montre à quel point le fonctionnement du Tremplin sort des sentiers battus. L’accompagnement offert aux jeunes vise à développer un sentiment d’appartenance à la société, alors que la plupart ont rompu les liens avec leurs cercles familiaux et vivaient de l’isolement avant leur arrivée. Pour ce faire, quatre axes d’intervention sont mis de l’avant : Mixité sociale, Contact avec la nature, Saines habitudes de vie et Contact avec les arts. « On va commencer par appartenir au Tremplin pour ensuite faire partie de l’humanité. » L’engagement de l’équipe permet aux résidents et résidentes d’avoir des relations significatives, d’apprendre à mieux se connaître et de trouver leur place dans un monde qui peut leur sembler hostile, peu ouvert à leurs réalités et à celles de plusieurs autres.
Images
- Rencontre entre les artistes, le Tremplin et les travailleuses de rue de la Coalition sherbrookoise pour le travail de rue
- Première ruche d’art de la résidence Ni un, ni deux. Photo : Tremplin 16-30
- Première ruche d’art de la résidence Ni un, ni deux. Photo : Tremplin 16-30
- Rencontre entre les artistes et l’équipe d’intervention du Tremplin
- Illustrations des quatre axes d’interventions du Tremplin créées par des artistes locaux et photos de l’équipe




